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19 July 2016 //
08:30 AM CET
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Si je vous dis «
Luke, je suis ton père », normalement, vous voyez instinctivement de quoi
je parle : Darth Vader, Luke Skywalker, L'Empire contre-attaque, la
référence est universelle. Tant mieux pour nous, tant pis pour notre perception
du réel, car Darth Vader ne prononce jamais (exactement) cette phrase dans le
film. Sceptique ? Constatez par
vous-même. Ne vous auto-flagellez pas, cette construction mentale
collective est ancrée si profondément dans nos esprits que tous ceux que vous
interrogerez auront probablement la même réaction que vous, généralement en
trois phases : négation, stupeur, puis mise à jour un peu gênée du bagage
culturel. A vrai dire, la culture
collective est constellée de ces déformations de la réalité,
acceptées par le plus grand nombre sans sourciller - tout le monde sait par
exemple ce qu’est un Ewok, alors même que le nom n’est jamais évoqué dans un
seul Star Wars… Mais si la majorité des gens accepte sans trop de
difficulté la possibilité que la mémoire soit versatile, une petite minorité
s’accroche obstinément à sa version de l’Histoire, au point de considérer que
c’est la réalité qui a un souci. Pour cette communauté, qui collecte patiemment
tous ces exemples de glitchs dans la réalité, le symptôme a même un nom
: l’effet Mandela.
Derrière le nom
donné à cette vertigineuse théorie, il y a une femme, Fiona Broome, auteure de
son état. En 2005, alors qu’elle assiste à une conférence, elle réalise lors
d’une discussion un peu surréaliste que plusieurs personnes, elle incluse, sont
absolument persuadées que Nelson Mandela est mort en prison en 1980. Intriguée
par la coïncidence et persuadée qu’il ne peut s’agir d’un simple défaut de
mémoire collectif, elle entame des recherches et découvre, petit à petit, d’autres
écarts entre l’Histoire communément admise et la version qu’en ont certains
groupes de personnes. Petit à petit, l’effet Mandela fédère une petite
communauté, ouvre en 2013 son portail
officiel et son subreddit
dédié, et les exemples se multiplient. La même année, une partie des
Etats-Unis découvre avec effroi que l’un de ses dessins animés d’enfance, La
famille Berenstain,
s’orthographie avec un A, et non un E. Scandale. Et nouvel arrivage
de partisans dans la communauté de l’effet Mandela, persuadés que c’est la réalité
qui déconne plutôt que leurs souvenirs d’enfance. Certains sont ainsi
convaincus, en vrac, que la tuerie de Columbine a eu lieu en 1996 (au lieu de
1999) ; que l’homme au tank de la place Tiananmen s’est tout bonnement fait
rouler dessus en 1989 ; que l’Ecosse et
le Pays de Galles étaient beaucoup plus petits qu’ils ne le sont maintenant
ou, plus trivial, que « dilemma » s’écrit en fait « dilemna » et «
definitely » s’orthographie « definately ». La liste est
non-exhaustive. Histoire, géographie, langage, culture : l’effet
Mandela étend son ombre de scepticisme au-dessus de la réalité toute entière,
remettant en cause sa nature même (pour peu qu’on se persuade de
l’infaillibilité de sa propre mémoire). Parcourir les témoignages des adeptes de la
théorie, ces bastions de pensée critique et d’argumentation
rationnelle, c’est risquer à chaque phrase de voir ses plus profondes
certitudes voler en éclats.
Théorie quantique des mondes multiples
Bien évidemment,
Fiona Broome et ses amis ne se contentent pas d’énumérer les distorsions de la
réalité pour le plaisir, mais proposent carrément une explication rationnelle
et scientifique au phénomène : l’effet Mandela n’est pas la preuve empirique de
la plasticité de la mémoire humaine, c’est celle de l’existence de réalités
parallèles qui s’entrechoquent de temps en temps. A la manière de cette scène de Matrix,
dans laquelle un sentiment de déjà-vu révèle une modification de la structure
du programme (synonyme de présence d’agents), les souvenirs alternatifs
seraient donc une preuve qu’une infinité d’itérations de la réalité coexistent
– dans l’une d’entre elles, Di Caprio aurait même gagné un Oscar
avant 2016, c’est dire. Pour appuyer son hypothèse, Fiona Broome
convoque la théorie
des mondes multiples d’Everett, aussi appelée théorie des états
relatifs. Formulée en 1957 par le physicien américain Hugh Everett, elle tente
d’expliquer rationnellement l’intrication quantique
(le phénomène qui permet à deux particules d’interagir instantanément, peu
importe leur distance géographique) en proposant le modèle suivant : à chaque
fois qu’un état quantique est observé (au détriment d’un autre), la réalité se
scinde et une nouvelle version continue son chemin en parallèle de la nôtre.
Vous pensez à Sliders, les
mondes parallèles ? Vous êtes un gros nerd né dans les années 80
mais vous avez raison, car ça donne (à peu près) ça. A la différence que
contrairement à la série, ces réalités pourraient s’affecter entre elles, ce
qui donne à la fois la physique quantique et un Mandela mort en taule dans un
1980 alternatif où Coluche a peut-être mené sa présidentielle jusqu’au bout.
L’explication derrière
l’effet Mandela se trouve plus certainement dans la psychologie sociale que
dans la physique quantique.
Evidemment,
sitôt qu’on mêle physique quantique et complotisme, le nom du CERN n’est jamais
très loin. Fiona Broome est donc ravie de nous apprendre, sur son site,
que « certains scientifiques ont, en privé, émis l’idée que les expériences
du Cern sur la physique quantique pourraient altérer la structure de la réalité
». Et si le LHC s’est déjà amusé à chercher des preuves
expérimentales de l’existence d’univers parallèles, notamment via la
détection de mini trous noirs, l’expérience
n’a absolument rien donné (en partie car le dispositif ne permettait
pas d’atteindre des niveaux d’énergie suffisants, mais que Fiona Broome se
rassure, le nouvel accélérateur de particules devrait y arriver).
Quoi qu’il en
soit, l’explication derrière l’effet Mandela se trouve plus certainement dans
la psychologie sociale que dans la physique quantique. Selon le (seul) site entièrement
consacré à la déconstruction de l’effet Mandela, celui-ci peut être
perçu comme le produit d’un ensemble de biais cognitifs, en particulier de la
capacité d’interprétation. La science a depuis longtemps prouvé que le cerveau
humain est une machine à désinformer, et que faire confiance à sa mémoire
lorsqu’il s’agit de restituer précisément une information est
généralement une très mauvaise idée. A cela s’ajoute la
suggestibilité, soit l’influence des attentes des autres sur nos propres
souvenirs : voir une personne écrire que Mandela est mort en 1980 pousse à
s’interroger ; quand elles sont dix, on est tenté de réécrire son histoire
mentale (le concept est notamment essentiel pour déterminer la
validité des témoignages judiciaires). Enfin, si les sceptiques
radicaux du subreddit sont si intimement persuadés que leurs souvenirs
sont ceux d’une autre réalité, c’est à cause du concept de dissonance
cognitive : lorsque l’on confronte quelqu’un à une information
incompatible avec ses croyances, la personne se retrouve dans un état de
tension désagréable et choisit le plus souvent de renforcer sa croyance
initiale, la rendant de fait encore plus rigide et imperméable à la critique.
Le phénomène se retrouve, notamment, dans les sectes apocalyptiques, qui
croient encore que la fin du monde est proche alors que les calendriers mayas
et Paco Rabanne ont successivement échoué à la prédire.
En désespoir de
cause, armons-nous du principe du
rasoir d’Ockham, qui stipule que la théorie la plus simple est
souvent la plus vraisemblable, et interrogeons-nous : est-il plus probable que
notre réalité ne soit qu’une version parmi d’autres et que seul un petit nombre
de personnes possède la capacité de détecter ses fluctuations grâce à une
mémoire infaillible, ou que l’effet Mandela soit la simple preuve que notre
cerveau passe son temps à travestir les faits? La mauvaise foi est ainsi faite
qu’elle préférera souvent l’alambiqué au limpide, et s’épanouira avec délice
dans une croyance dont il est essentiellement impossible de démontrer
l’invalidité. La vérité est ailleurs, dans une réalité parallèle ou Mohamed Ali
nous aurait quittés. Attendez, ce serait pas la nôtre, celle-ci? My mind is
fucked.
Source: http://motherboard.vice.com/fr/read/leffet-mandela-ou-quand-notre-memoire-construit-des-realites-paralleles
voir aussi l'assassinat de JFK avec un autre regard:
https://www.youtube.com/watch?v=3dU4EvfPb5w
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